Deux hommes sont morts pour moi

Tempête

Le soir, quand le vent se lève et les vagues de la mer viennent se fracasser contre les rochers, j'aime me promener le long de la plage. Je pense alors à Eric. Nous étions, lui et moi, engagés sur le même bateau de pêche. Eric avait souvent essayé de me parler de son Dieu, de l'amour de Jésus pour les pécheurs. Un pécheur, je savais bien que j'en étais un. Et c'est peut-être à cause du malaise que ce mot m'apportait que j'avais toujours mis fin à la conversation par une stupide plaisanterie: « Eh, Monsieur le curé, ce n'est pas l'heure de votre messe ! »

Pourtant ce fameux soir, aucun des hommes de l'équipage ne pensait à rire ou à plaisanter. En effet, le vent hurlait sur la mer, les vagues en furie se jetaient contre les flancs de notre bateau. Tout le monde était mobilisé pour lutter contre la force des éléments déchaînés... Puis ce fut un choc terrible: le navire s'était déchiré sur des rochers sombres qui se trouvaient à fleur d'eau. Des craquements sinistres venaient du flanc du navire éventré. Les vagues semblaient pousser des cris de victoire en s'engouffrant dans les cales.
    
     
 

Pas de place pour tout le monde  !

Il n'y avait aucun doute, nous allions sombrer rapidement. Aussi avait-on détaché les embarcations de secours. Silencieusement, tout l'équipage s'était rassemblé. Chacun s'était alors rendu compte qu'il n'y aurait pas assez de place pour tout le monde dans les canots de sauvetage. Le capitaine alors a tiré au sort pour désigner ceux qui partiraient et ceux qui resteraient. Avec trois autres j'avais été désigné pour rester sur le navire. Aussi, la mort dans l'âme, je regardais mes camarades quitter le bateau pour prendre place un à un dans les canots de sauvetage. Je regardais Eric et il restait parfaitement paisible. Il peut bien être tranquille, pensais-je en moi-même, puisque le sort l'a désigné pour partir. Il a une place lui, dans un canot, tandis que moi... Mais au moment où est arrivé le tour d'Eric de quitter le bateau, il me poussa en avant: Vas-y à ma place, dit-il, tu n'es pas prêt à rencontrer Dieu, tandis que pour moi, pas de problème. Sans avoir eu le temps de répondre ou de protester, je me trouvai dans une des embarcations de secours. Après nous être éloignés du bateau pendant assez longtemps, je me souviens de m'être tourné juste à temps pour voir le navire s'enfoncer dans les flots. Je laissais derrière moi mon camarade Eric. Mon cœur se serrait. Il venait de donner sa vie pour moi !

À force de ramer nous avons atteint la côte.

 

     

Il faut fêter cela  !

Quelques jours après, les camarades voulaient fêter notre sauvetage. Viens, m'ont-ils dit, une chance pareille, ça s'arrose !
 – Non, plus jamais rien pour moi ne sera comme avant.
Les paroles d'Eric restaient gravées dans ma mémoire: «Tu n'es pas prêt à rencontrer Dieu». Je voulais me mettre en règle avec le Dieu d'Eric.
À force de penser, de chercher, je suis tombé sur une vieille Bible tout usée. J'ai compris alors que deux hommes étaient morts pour moi: Eric là-bas dans la tempête lorsqu'il m'avait laissé sa place dans le canot, mais aussi Jésus lorsque sur la croix il avait souffert pour effacer mes péchés.

Oui maintenant, moi aussi, je suis prêt à rencontrer Dieu. Et en attendant de rejoindre mon camarade, pour voir ensemble celui qui nous a aimés jusqu'à mourir sur la croix, je désire vivre, non plus pour moi-même, mais pour celui qui pour moi est mort et a été ressuscité.