YOURI

Je vous arrête !

– Youri Matovitch, c'est vous?
– Oui, c'est moi.
– Eh bien, au nom de la loi, je vous arrête!
– Mais qu'est-ce que j'ai fait?
– Allez, allez, vous savez cela mieux que nous.
Sans savoir ce qui lui arrive, Youri se retrouve bientôt enfermé dans une cellule de prison. Une fenêtre bardée de fer, des murs gris, un lit, une table, et une porte métallique qu'on referme sur lui, c'est tout.
– Je suis innocent, je suis innocent, crie Youri en frappant la porte de ses deux poings.
Non, Youri ne sait pas ce qu'on lui reproche. Pourtant, en écoutant les gardiens parler entre eux dans le couloir, Youri apprend qu'on le considère comme un dangereux prisonnier politique.
– Je suis innocent, je suis innocent, clame-t-il, je ne sais même pas ce qu'on me reproche.

Condamné à mort

Hélas, ce qu'on lui reproche, il l'apprendra bientôt lorsque, debout dans la salle du tribunal, il entendra le juge déclarer lentement:
– Youri Matovitch, vous êtes accusé d'avoir participé à un complot contre le Tsar, aussi êtes-vous condamné à mort.
La terrible sentence résonne dans la salle. Youri, pâle, incapable d'un mouvement, l'entend comme dans un cauchemar dont il ne parviendrait pas à se réveiller.
Reconduit dans sa cellule, Youri se jette sur son lit en proie au plus profond désespoir. Il sait qu'il n'a pas participé au complot contre le Tsar et qu'il est l'objet d'une lourde erreur judiciaire.
Il est si absorbé dans ses tristes pensées, qu'il n'entend pas la clé tourner dans la serrure. La porte s'ouvre, livrant passage à un petit homme chauve aux yeux ronds.

Sortez immédiatement !

– Monsieur Matovitch, je viens vous apporter les consolations de Dieu.
Youri se lève comme un ressort et rit d'un rire inquiétant.
– Sortez immédiatement, je n'ai que faire d'un Dieu qui permet qu'un innocent soit condamné. Allez-vous-en ou je demande au gardien de vous faire sortir d'ici.
Youri s'avance, l'air menaçant. Le petit homme recule, mais avant de sortir, il dit en posant un livre sur la table toute proche:
–  Je vous laisse une Bible.
Youri, tremblant d'une colère qu'il ne contrôle plus, saisit le livre en s'écriant:
– Eh bien, voilà ce que j'en fais de votre livre.
Et, aussi fort qu'il le peut, y mettant toute sa rage, Youri lance le livre contre la muraille. Le livre vole, heurte le plâtre avec un bruit mat, puis tombe sur le sol.
Les jours suivants, Youri marche dans sa cellule comme un fauve en cage. Il passe du plus profond abattement à des crises de rage incontrôlées.


Personne n’est juste

Or, un soir, alors qu'il arpente sa cellule, en proie aux plus tristes pensées, son pied heurte le livre qui est resté sur le sol.
À ce moment, le soleil commence à disparaître derrière les collines. De ses rayons obliques, il caresse la cime des grands arbres. L'un d'eux, plus indiscret, filtre à travers la fenêtre de la prison de Youri et vient éclairer le livre ouvert que Youri vient de ramasser machinalement.
Le soleil s'est posé sur ce verset:
«Il n'y a pas de juste, non pas même un seul.»
Youri le lit d'abord sans y prendre garde, mais bientôt il sursaute:
– Pas de juste... même pas lui, Youri, qui crie son innocence depuis qu'il est enfermé...?
Youri s'approche de la fenêtre pour avoir davantage de lumière. «Pas de juste»' : cette parole l'assaille. Sur la même page il lit que «Tous ont péché».
Youri réfléchit: bien sûr, il n'a pas participé au complot contre le Tsar, mais... est-il juste pour cela? Il repense à sa vie. N'a-t-il pas crié un peu trop fort son innocence ?... surtout vis-à-vis d'un Dieu qui a les yeux trop purs pour voir le mal.
Il tourne les pages...

 «Venez et plaidons ensemble, dit l’Eternel : si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige.»

Lumière intérieure

Là-bas, vers les collines, on voit encore les dernières lueurs du couchant. Malgré l'ombre qui envahit tout, Youri essaye encore de lire... Il lit, il songe, il prie... Et là, dans sa prison, il comprend que non seulement il n'est pas innocent, mais que devant Dieu, il est perdu. Le livre qu'il avait jeté si rageusement contre la muraille lui apprend aussi que Jésus, le Fils de Dieu, est venu chercher et sauver ceux qui sont perdus. La lueur du soir doucement se retire, mais une autre lumière, une lumière éclatante, une lumière bienfaisante grandit dans son cœur.
Cette nuit-là, Youri se couche et dort paisiblement, comme il n'a pas dormi depuis bien longtemps.

La vraie liberté

Le jour où Youri doit mourir est arrivé. Youri est prêt. Assis sur son lit, il feuillette le livre qui lui a apporté tant de consolation et qui est devenu pour lui un véritable trésor.
Tout à coup, Youri entend la clé tourner dans la serrure. Il frissonne. Une haute silhouette vient s'encadrer dans l'embrasure de la porte. Le Tsar, le Tsar en personne. Youri se lève, en le reconnaissant. L'empereur s'approche, un papier à la main.
– Youri Matovitch, nous venons d'avoir la preuve de votre totale innocence dans le complot qui avait été organisé contre moi. Cette lettre atteste de votre fidélité à votre empereur. Aussi ai-je voulu vous libérer moi-même et vous assurer que vous serez dédommagé de toutes les misères que vous avez connues en prison. Vous êtes donc libre.
Youri sort de la prison, mais avant de suivre le Tsar qui le précède, il ne peut s'empêcher de jeter un regard sur sa pauvre cellule: la fenêtre avec ses barreaux, la table, le lit, les murs gris...
– Oui, murmure-t-il, c'est là que j'ai appris à connaître la vraie liberté.